Principales influences et preoccupations des residents qui choisissent une carriere en medecine familiale: Appel a laction pour les enseignants

La crise actuelle des soins primaires au Canada est bien documentée1,2. L’ajout de postes de résidence en médecine familiale (MF) n’a malheureusement pas été égalé par une hausse de l’intérêt des requérants3. En 2023, 268 postes en médecine familiale n’ont pas trouvé preneurs au Canada après la première itération du Service canadien de jumelage des résidents3, un nombre record. Ce nombre est demeuré élevé l’année suivante, soit 252 places non comblées après la première itération du jumelage en 20243.

En tant qu’enseignants en MF, nous nous sommes inquiétés de l’intérêt en déclin pour la MF et ses effets connexes sur les effectifs en soins de santé et sur la santé de nos communautés. Nous avons cherché à préciser les raisons de ce déclin selon les points de vue particuliers des résidents au début de leur formation en MF. Ce commentaire présentera des réflexions sur 2 sources de données recueillies au moyen du Sondage longitudinal en médecine familiale (SLMF) administré par tous les programmes de résidence en MF pour le compte du Collège des médecins de famille du Canada à tous les résidents dans les 3 mois suivant le début de leur formation (phase 1), puis à nouveau 3 mois après l’obtention de leur diplôme (phase 2). Nous avons examiné les données de la phase 14, étant celles les plus rapprochées des expériences des résidents durant leurs études en médecine et de leur décision de choisir une carrière en MF. Notre première source de données est d’envergure nationale et inclut les sites de formation entre 2014 et 20234. La deuxième source de données vient de questions supplémentaires ajoutées au SLMF (phase 1) à l’Université de Toronto (U de T) en 2023 et 2024. Tous les résidents qui arrivaient à l’U de T ont été questionnés sur les principales raisons de leur choix de carrière en MF (Tableau 1) et leurs principales préoccupations (Tableau 2) (n=299, taux de réponse de 85 %). Bien que nos données captent les perspectives des diplômés qui ont choisi la formation en MF, il serait tout aussi instructif d’explorer les points de vue de ceux qui ont opté pour une autre spécialité.

Tableau 1.

Facteurs les plus influents dans le choix d’une carrière en MF : « Qu’est-ce qui vous a le plus influencé à choisir une carrière en médecine familiale? Veuillez indiquer les 3 motifs les plus importants. »

Tableau 2.

Principales préoccupations à propos du choix d’une carrière en MF : « Quelles sont vos principales préoccupations au moment de choisir une carrière en MF? Veuillez indiquer les trois plus importantes. »

Nous présentons une perspective des résultats selon l’angle d’enseignants en MF et des solutions éducationnelles possibles pour répondre à la crise de la MF.

Principales influences sur le choix de la MF comme carrière

On a présenté aux résidents une liste d’options et on leur a demandé de classer par ordre de priorité celles qui les avaient influencées le plus dans leur choix de carrière en MF (Tableau 1). La motivation première était une perception de flexibilité. Il peut s’agir de la flexibilité dans la portée de la pratique, des heures de travail, du milieu ou de la géographie. D’autres ont aussi signalé que la flexibilité dans la pratique et le mode de vie recevaient une cote élevée parmi les raisons des étudiants en médecine canadiens de choisir des spécialités en soins primaires5, et que l’exposition à des mentors en MF pouvait faire la promotion de la flexibilité dans une carrière6 et du mode de vie7 dans une pratique familiale.

La deuxième raison la plus influente motivant le choix d’une carrière en MF était le souhait d’entretenir des relations à long terme avec des patients et leur famille. Cette motivation a été identifiée dans d’autres études5. Nous devons continuer de mettre l’accent sur la joie et la magie de ces relations auprès de nos apprenants. Il faudrait essayer dans la mesure du possible d’intégrer des expériences précoces et longitudinales en soins primaires, parce que ces expériences augmentent la proportion des étudiants qui choisissent les soins primaires8-11. De telles expériences pourraient être incorporées sous forme de patientèles, d’expériences longitudinales en préexternat ou de stages intégrés longitudinaux8-11. De nouveaux modèles d’éducation médicale, comme le programme de médecine familiale Queen’s–Lakeridge Health MD, qui est conçu pour atteindre tous les objectifs d’apprentissage du programme de la faculté de médecine, mais sous l’angle de la MF et des soins primaires, se révèlent prometteurs12. Ce programme de l’Université Queen’s offre aux étudiants des expériences cliniques longitudinales immersives à partir de la première année dans une variété de milieux de pratique familiale, de même qu’une transition vers des postes réservés de résidence postdoctorale en MF à cette université12. La Faculté de médecine de l’Université métropolitaine de Toronto accueillera en septembre 2025 sa première classe d’étudiants en médecine qui met l’emphase sur les soins primaires13. Au cours des prochaines années, il est prévu que l’inscription à d’autres nouvelles écoles de médecine canadiennes soit ouverte, notamment à l’Université Simon Fraser à Burnaby (C.-B.)14, à l’Université de l’Île-du-Prince-Édouard à Charlottetown (en tant que campus régional de l’Université Memorial de Terre-Neuve)15 et, potentiellement, à l’Université York à Vaughan (Ontario)16. Ces écoles visent à adopter une approche communautaire qui insiste sur les relations, la responsabilité sociale et de plus grandes possibilités en soins primaires.

Les expériences au sein des milieux de MF durant les études de médecine figuraient comme le facteur de motivation ayant reçu le troisième rang en importance. Les stages en soins primaires d’une durée plus longue, de grande qualité, qui exposent les étudiants à une diversité plus large de pratiques en soins primaires et qui se déroulent dans un milieu institutionnel favorable aux soins primaires, sont corrélés avec un plus grand nombre d’étudiants qui choisissent une spécialité des soins primaires17. La formation dans des campus régionaux ou l’offre d’expériences en soins primaires dans des milieux ruraux sont aussi associées avec un pourcentage plus élevé de diplômés s’inscrivant en soins primaires18. Il y a d’intéressantes possibilités d’enchâsser les principes des soins primaires communautaires centrés sur la famille dès les tout premiers fondements dans nos nouvelles écoles et de renforcer les programmes existants.

L’exposition à des modèles de rôles en MF était le quatrième motif pour choisir une carrière en MF. Il a été démontré qu’une exposition précoce à des expériences10 et à des modèles de rôles positifs en soins primaires augmente l’intérêt des stagiaires pour une carrière en MF6,7,9,11,19. Nous devons continuer à identifier, prioriser et protéger ces expériences et ces modèles à émuler, même dans notre actuel climat difficile en soins primaires, à un moment où nos enseignants en MF sont débordés, épuisés et en manque de ressources.

Principales préoccupations dans le choix de la MF comme carrière

Dans le choix d’une carrière en MF, les 4 principales préoccupations concernaient davantage le système de santé que des enjeux d’ordre éducationnel (Tableau 2). Des données provenant de milliers de nouveaux résidents en MF au cours des 5 dernières années de toutes les régions du pays révèlent que 9 sur 10 d’entre eux sont fiers de devenir des médecins de famille4. Par ailleurs, de récentes tendances font valoir que les résidents croient de plus en plus que les médecins de famille sont sous-évalués par le public et le gouvernement. Si la plupart des résidents rapportent croire que la MF est respectée par les patients, il est inquiétant que cette perception a considérablement diminué avec le temps. Fait encore plus surprenant, près des 2 tiers des résidents en MF au Canada ont dit avoir le sentiment que le gouvernement ne perçoit pas la MF comme essentielle au système de santé. Ces préoccupations peuvent être le mieux abordées par des actions politiques. En tant que médecins de famille en pratique, nous pouvons plaider en faveur de changements et être des modèles de rôles positifs pour nos futurs collègues.

Les préoccupations entourant l’impression d’un statut moins élevé que celui des spécialistes, le peu de respect pour l’expertise des médecins de famille et les messages négatifs à propos de la MF durant les études de médecine pointent vers le cursus caché qui dévalorise l’expertise généraliste des médecins de famille20,21 et peut diminuer l’intérêt des étudiants pour la MF11. En revanche, l’assurance d’un climat institutionnel favorable à la spécialité de la MF et l’instauration d’une atmosphère d’acceptation de la poursuite des soins primaires comme carrière augmentent le pourcentage d’étudiants en médecine de l’établissement qui s’inscrivent en soins primaires17,18,22. L’exposition précoce à des enseignants en MF durant le préexternat et l’enchâssement de thèmes généralistes pour guider la révision et la supervision du cursus dans nos facultés de médecine comptent parmi les stratégies éducationnelles pour répondre à ces préoccupations. Il faut continuer d’avoir des modèles de rôles et du mentorat en MF largement accessibles et encouragés. Les inquiétudes exprimées concernant la gestion de l’incertitude, de la complexité et de l’ambiguïté servent de rappels pour assurer que nous mettons en évidence la valeur de l’expertise adaptative dans notre cursus et nos milieux cliniques. Ces expériences sont nécessaires pour les apprenants qui se destinent à une spécialité, quelle qu’elle soit, et peuvent aider à répondre au cursus caché qui dévalorise la MF, de même que servir de possibilités pour souligner le rôle des médecins de famille comme généralistes spécialisés20.

Les étudiants prennent leur décision en matière de carrière à diverses étapes avant et après leurs études de médecine. Les résultats de notre sondage font valoir que la majorité des étudiants prennent la décision de choisir la MF durant leur externat, notamment lors de leur stage en MF (Tableau 3). Les intentions relatives à la carrière ne sont pas arrêtées et changent principalement durant la formation clinique, ce qui corrobore l’influence qu’ont les expériences cliniques sur les choix liés à la carrière22. Par conséquent, il est crucial d’assurer que les cursus des facultés de médecine exposent les étudiants à des modèles de rôles et à d’excellentes expériences en MF à toutes les étapes.

Tableau 3.

Moment de la décision de choisir une carrière en MF : « Quand avez-vous décidé que vous vouliez être médecin de famille? »

Solutions éducationnelles : un appel à l’action

Il faudra à la fois des solutions éducationnelles et venant du système de santé pour renverser la tendance à la baisse de l’intérêt pour la MF comme carrière. En nous fondant tout autant sur les influences positives que sur les préoccupations mentionnées par les résidents en MF, nous résumons les stratégies curriculaires et éducationnelles suivantes pour préserver et raviver l’intérêt pour la MF comme choix de carrière.

Parmi les stratégies efficaces dans nos programmes actuels figurent les suivantes :

des expériences longitudinales en MF tôt durant les études de médecine8-11,

une exposition précoce à des enseignants en MF durant le préexternat10,

des paramètres thématiques généralistes pour la révision et la supervision du cursus et des cours en « généralisme23 »,

des modèles de rôles et du mentorat en MF6,7,9,11,19,

des expériences éducatives axées sur la gestion de l’incertitude, de la complexité et de l’ambiguïté20,

de la formation dans des campus régionaux ou l’offre d’expériences en soins primaires en milieu rural,

une exposition à une portée plus large des soins primaires9,17, et

contrer le cursus caché qui dévalorise la MF11,21.

Ces solutions éducationnelles pourraient promouvoir l’intérêt pour la MF, de même que rehausser la valeur perçue de la discipline auprès de tous les stagiaires.

En outre, nous devons examiner les politiques d’admission des facultés de médecine et nous assurer de choisir des candidats de divers horizons, prêts à s’engager à dispenser des soins primaires socialement responsables à nos communautés dans le besoin22,24. Des médecins de famille doivent faire partie de ces comités de sélection. On croit que les requérants qui indiquent un intérêt pour les soins primaires, ont grandi dans un milieu rural et sont plus âgés seraient plus enclins à s’inscrire en soins primaires; par ailleurs, les travaux scientifiques sont insuffisants pour recommander des pratiques exemplaires24. De nouvelles écoles de médecine et des volets axés sur les soins primaires, tant au Canada qu’à l’étranger, sont prometteurs sur le plan de la diplomation d’un plus grand nombre de médecins en soins primaires et d’une préparation optimale des diplômés pour leur avenir en MF25,26. Enfin, l’instauration d’un climat politique et éducationnel qui respecte et valorise les médecins de famille à titre de spécialistes en généralisme, qui dispensent des soins adaptés à la communauté et centrés sur le patient, est un impératif pour promouvoir l’intérêt envers la MF27.

Footnotes

Intérêts concurrents

Aucun déclaré

Les opinions exprimées dans cet article sont celles des auteurs. Leur publication ne signifie pas qu’elles soient sanctionnées par le Collège des médecins de famille du Canada.

Cet article donne droit à des crédits d’autoapprentissage certifiés Mainpro+. Pour obtenir des crédits, allez à https://www.cfp.ca et cliquez sur le lien vers Mainpro+.

Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.

This article is also in English on page 380.

Copyright © 2025 the College of Family Physicians of Canada

Comments (0)

No login
gif